Le collège Arthur Rimbaud à Montpellier dans lequel était scolarisée Samara, agressée le 3 avril 2024. (PASCAL GUYOT / AFP)

Tribune

Autour du lynchage de Samara à Montpellier, comme pour d’autres agressions, il y a un contexte dont on n’ose guère parler à gauche.

LeJournal.info - 8 avril 2024 - L'éditorial de Laurent Joffrin

Voilà ce qui s’appelle mettre les pieds dans le plat. Une fois n’est pas coutume, je cède d’abord la parole à Guillaume Lacroix, qui s’exprimait hier sur X (ex-Twitter) après le lynchage public de la jeune Samara à Montpellier. Il n’est pas chroniqueur à CNews ou éditorialiste à Valeurs Actuelles, mais dirige le Parti radical de gauche, composante traditionnelle de l’Union de la Gauche avant la NUPES.

Voici son « thread », suite de messages sur le même thème : « Elle s’appelle Samara. Avant elle il y’avait eu Anissa, et puis celles qui n’ont pas survécu comme Chahinez, Shaïna, Sohane. Il y a toutes ces anonymes, victimes ou en danger. Il y a ce silence lourd, complice, autour de la vie menacée ou contrainte de ces jeunes femmes. Anissa, 19 ans, juillet 2023, est tailladée et défigurée en plein Toulouse pour une tenue vestimentaire qui “ne convenait pas”. Chahinez, 31 ans, meurt brûlée vive en 2021. Un féminicide conjugal fondé sur la jalousie et “parce qu’elle voulait vivre comme une Française” Sohane, 17 ans, 2002, meurt brûlée vive dans un local poubelle. Son assassin justifiait son crime en disant que cette jeune “était persona non grata à Balzac”. Les menaces sur les jeunes femmes musulmanes émancipées ne cessent de croître. »

Pour Lacroix, laïque convaincu, comme souvent les radicaux, ces faits divers n’en sont pas. Ils ne se ramènent pas non plus à la « montée générale de la violence dans la société », tarte à la crème rituelle, à la persistance des féminicides, fléau très réel mais qui se manifeste en l’occurrence dans un contexte précis, ou bien à la « désespérance sociale », facteur indiscutable mais trop vague pour expliquer à lui seul le phénomène.

Ils ne tiennent pas plus, au contraire de ce que dit l’extrême-droite, aux effets globaux de le religion musulmane prise comme un tout : en l’espèce, les coupables et les victimes sont tous musulmans ou musulmanes. Point de « guerre des civilisations » entre Français de cultes différents, mais un conflit entre deux pratiques de la même religion, qui tient à l’emprise exercée sur les Françaises musulmanes par la minorité intégriste, organisée ou non, qui veut imposer à ses coreligionnaires sa vision rigoriste de l’islam, faite de mépris du droit des femmes, de soumission à des principes moyenâgeux et de préjugés obscurantistes sur « l’honneur », « la décence ».

Lacroix a-t-il raison ? Comme on minimise en général le phénomène à gauche et qu’on s’en sert comme d’un marqueur politique à droite et à l’extrême-droite, les enquêtes sérieuses, journalistiques ou sociologiques, sont rares. Pourtant, c’est bien le point commun qui réunit ces agressions, dans leur motivation en tout cas : elles sont issues d’une conception fondamentaliste de l’islam, traduite en menaces et en représailles violentes par les adeptes de cette archaïsme religieux. On mesure au passage l’inanité de ceux qui voient le voile islamique comme un simple foulard, ou même, comme vient de le dire Alain Policar, un philosophe soudain descendu de la stratosphère, comme un « facteur d’émancipation ».

Le voile exprime précisément cette conception radicale de l’islam dont les petits machos ultraviolents de certaines cités s’emparent pour placer les jeunes femmes sous une férule implacable. Tant que la gauche ne l’aura pas compris, tant qu’elle n’aura pas reconnu que l’intégrisme islamique est aux antipodes de ses valeurs, elle restera inaudible.