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En un peu plus de deux ans et demi au pouvoir, la présidente du Conseil italien s’est imposée comme la figure centrale de la politique transalpine. Sa courbe de popularité reste haute et les sondages favorisent son parti.
Le Figaro - 13 juin 2025 - Par Jean-Marc Gonin, pour Le Figaro Magazine
Elle se tient là, toute droite, les bras alignés le long du corps. Sa veste blanche ornée d’une cocarde tricolore tranche avec les costumes et les uniformes de couleur sombre portés par les hommes qui l’entourent. Au pied des marches conduisant à l’autel de la Patrie, ce monument massif que les Romains surnomment – à cause de sa forme insolite – la « machine à écrire », Giorgia Meloni, pour la troisième fois depuis son élection à la tête du gouvernement, célèbre la fête de la République italienne. Certes, la présidente du Conseil n’est pas la personnalité politique centrale de ces cérémonies où les Italiens commémorent le référendum institutionnel du 2 juin 1946, qui donna naissance à la Repubblica italiana. Ce rôle revient au chef de l’État, en l’occurrence Sergio Mattarella, qui gravit les marches pour fleurir la tombe du soldat inconnu avant d’occuper la place d’honneur dans la tribune pour assister au défilé militaire.
Ferveur tricolore
L’exercice revêt pourtant un caractère particulier pour celle qui dirige le gouvernement depuis le 22 octobre 2022. Issue des rangs du défunt parti néofasciste (Movimento sociale italiano, MSI), Giorgia Meloni est doublement observée en cette fête nationale. D’abord parce que l’événement commémoré marque la renaissance de l’Italie sur les ruines du régime de Mussolini, dont les caciques de sa formation se sont longtemps réclamés, et qu’elle doit se garder de toute expression nostalgique. Ensuite, parce qu’en ce jour de patriotisme et de ferveur tricolore, elle doit éviter tout excès nationaliste qui pourrait être interprété comme un accès de bellicisme (honni par une bonne partie des Italiens depuis la débâcle mussolinienne) ou un affront à l’Union européenne.
En cette journée presque estivale dans la capitale italienne, baignée par un soleil radieux, Giorgia Meloni fait un sans-faute. Comme souvent. Les gazettes retiendront sa phrase toute churchillienne : « Les Italiens sont un peuple fier, capable de se relever des épreuves les plus dures. »
Étoile montante
Après plus de deux ans et demi au pouvoir, la première femme à gouverner l’Italie impressionne alliés comme adversaires. Dans un système politique propice aux crises à répétition, aux intrigues machiavéliennes et aux trahisons, elle semble mener sa barque d’une main sûre, donnant à ses concitoyens un sentiment de stabilité inédit. Les sondages l’attestent : sa formation Fratelli d’Italia (FdI) demeure la première force politique du pays. En mai dernier, la moyenne des intentions de vote en sa faveur atteignait 30,3 % (contre 26 % lors des législatives de 2022 et… 2 % en 2013). Le Parti démocrate, principale formation de gauche, navigue 8 points derrière avec 22,3 %. Quant à ses alliés de la majorité, ils sont distancés : Forza Italia, parti fondé par Berlusconi, recueille 8,6 % des suffrages tandis que la Ligue du vice-président du Conseil Matteo Salvini se situe à 8,5 %. Le week-end dernier a même vu la première ministre remporter une nouvelle victoire politique. Conformément à ses vœux, le référendum sur une loi moins dure sur les naturalisations soutenue par la gauche n’a pas réuni, tant s’en faut, le quorum d’électeurs suffisant (plus de 50 %) pour être validé.
« Giorgia Meloni, c’est davantage une méthode qu’une idéologie, juge Gilles Gressani, intellectuel italien qui dirige la revue Le Grand Continent. Dans le contexte italien, ce système politique fébrile à cycles très courts, elle est parvenue à apporter de la stabilité au pouvoir. » Après l’éclipse de Silvio Berlusconi en 2011, date de fin de son dernier gouvernement, le centre droit italien a semblé sans leader crédible capable de guider le pays. C’est alors que Giorgia Meloni a vu son étoile monter. À la fin de 2012, alors âgée de 35 ans, elle fonde Fratelli d’Italia (Frères d’Italie, qui est aussi le titre de l’hymne national). Quelques mois plus tôt, elle avait refusé de rejoindre son mentor, Gianfranco Fini, l’homme qui transforma le parti néofasciste MSI en Alliance nationale pour le débarrasser des dernières scories mussoliniennes. Après une violente rupture avec Berlusconi, celui-ci avait créé une nouvelle formation et tenté de rallier les parlementaires d’Alliance nationale. Elle lui avait tourné le dos.
Travailleuse, douée, éloquente, elle a vite fait sa place parmi les leaders politiques italiens. Avec une stratégie singulière, elle est parvenue à porter sa formation vers la victoire en moins de dix ans. Contrairement à Fini, elle a persisté à employer un ton nationaliste, hostile à l’Union européenne et à l’euro. Et surtout, elle est volontairement restée floue sur l’héritage du fascisme.
En campagne, ses discours intransigeants contre l’immigration clandestine, plaidant pour une politique de la famille, hostiles à toutes les théories du genre rebattues par la gauche ont attiré des auditoires toujours plus importants. Et Giorgia Meloni n’a pas hésité à enfreindre des tabous italiens que seul avant elle Silvio Berlusconi avait osé mettre en cause : l’intégration européenne et la monnaie unique. Les directives absurdes de Bruxelles, la prépondérance injustifiée du tandem franco-allemand et, surtout, les griefs contre la France sont devenus une sorte de rengaine melonienne acclamée par son électorat.
Quand le gouvernement de Mario Draghi tombe en juillet 2022, Fratelli d’Italia est déjà le parti leader à droite. Deux mois plus tard, la coalition de centre droit qu’elle dirige avec poigne triomphe en recevant environ 44 % des voix dans les élections aux deux chambres du Parlement, soit 237 députés sur 400 et 115 sénateurs sur 200. Giorgia Meloni peut s’appuyer sur une majorité solide.
“Techno-souverainisme”
Face à une gauche profondément divisée et avec des alliés (Forza Italia, Ligue) qu’elle domine, Giorgia Meloni a installé sa « méthode ». Gilles Gressani lui a posé l’étiquette éclairante de « techno-souverainisme ». En d’autres termes, elle a amendé ses propos de campagne les plus radicaux en se pliant à des contraintes technocratiques, tout en affirmant avec force des convictions souverainistes. C’est notamment le cas dans ses rapports avec l’Union européenne.
D’un côté, Giorgia Meloni a compris que les finances publiques italiennes avaient un besoin vital des 208 milliards d’euros de fonds européens attribués à l’Italie au nom du plan de relance post-Covid, baptisé Next Generation EU. De l’autre, elle n’hésite pas à adopter des attitudes fermes vis-à-vis de ses partenaires qui avaient pris l’habitude, au fil des décennies, de trouver des interlocuteurs transalpins souvent très allants et en tout cas plus arrangeants. Paris en a notamment subi les conséquences, Giorgia Meloni ne reculant pas devant le fait d’ouvrir un début de crise avec Emmanuel Macron. Accusée d’avoir ostracisé l’Italie dans les discussions sur l’Ukraine, la France a été la cible de nombreuses critiques.
Côté français, le chef de l’État ainsi que Gérald Darmanin, alors qu’il était encore ministre de l’Intérieur, avaient vertement tancé l’Italie pour son initiative d’envoyer les immigrés illégaux dans un camp de rétention en Albanie. Mardi 3 juin, dans la soirée, Emmanuel Macron s’est rendu à Rome à sa demande pour rencontrer Giorgia Meloni afin que tous deux rapprochent leurs points de vue avant les divers sommets de juin, notamment celui du G7 au Canada et celui de l’Otan – Trump apprécie Giorgia Meloni. Un geste d’apaisement vers Rome et un bon point pour la présidente du Conseil, qui a montré à ses concitoyens que la fermeté avec la France pouvait payer…
Carrière de comète
Si Giorgia Meloni s’est si vite glissée et avec un certain succès dans le rôle de chef de gouvernement, c’est aussi parce qu’elle a acquis depuis le plus jeune âge une expérience politique considérable. À 15 ans, elle a adhéré au Fronte della Gioventù, organisation de jeunesse du parti néofasciste MSI. En 1996, à 19 ans, elle est à la tête d’Azione Studentesca, mouvement étudiant de l’Alliance nationale (AN, successeur du MSI). Deux ans plus tard, elle est élue au conseil de la province de Rome. Repérée par Gianfranco Fini, leader d’AN, elle devient députée à 29 ans puis est propulsée vice-présidente de la Chambre. À peine deux ans plus tard, Silvio Berlusconi, qui a lui aussi été convaincu par son talent, lui offre le portefeuille de la Jeunesse. Giorgia Meloni devient, à 31 ans, la plus jeune ministre de l’histoire italienne.
Grâce à cette carrière de comète, elle a très tôt acquis de la notoriété chez les électeurs. Contrairement à ce qui se passe en Europe pour d’autres dirigeants de partis venus de la droite extrême, voter pour elle n’équivaut donc pas à une décision audacieuse, voire à un saut dans l’inconnu. On l’a déjà vue à l’œuvre et on la sait capable. Son ancien ministre de la Culture, le journaliste et essayiste Gennaro Sangiuliano, raconte qu’elle l’a impressionné dès qu’il l’a vue pour la première fois. « Je suis allé faire une conférence devant les élus de la province de Rome, dit-il. À un moment, j’ai cité une phrase du philosophe espagnol José Ortega y Gasset. À la fin, une jeune femme est venue me demander la référence exacte de la citation. C’était Giorgia Meloni. » Tous s’accordent sur sa capacité de travail et sa maîtrise des dossiers. « Elle communique extrêmement bien, dit Piero Fassino, une figure de la gauche, député du Parti démocrate et ancien maire de Turin. Et elle travaille beaucoup. » Chacun souligne aussi son côté ferme, voire dur, qui peut susciter la crainte de ceux qui oseraient la contredire.
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