Politique
Un budget de la Sécu « contraire aux intérêts de la France », la place du RN dans l’arc républicain, l’absence d’un projet de « sursaut national » à droite… L’ancien premier ministre craint que « plus cette situation dure, plus les Français se tournent vers les extrêmes ».
le Figaro - 17 décembre 2025 - Par Claire Conruyt, Emmanuel Galiero et Jim Jarrassé
LE FIGARO. - En 2007, vous affirmiez être à la tête d’un État « en faillite ». Quel regard portez-vous sur la France, aujourd’hui ?
FRANÇOIS FILLON. - En 2017, j’ai appelé à voter Emmanuel Macron. Jamais je n’aurais pu imaginer que huit ans après le pays soit dans une telle situation : Emmanuel Macron, c’est 1 milliard de dettes supplémentaires par jour ouvrable. Certes, depuis François Mitterrand, tous les présidents de la République ont accru le déficit et accumulé la dette. Le gouvernement que j’ai dirigé n’a pas échappé à ce travers. Tous nous avons été amenés à gérer des crises comme les pompiers éteignent les incendies. Tous nous avons cru que la croissance permettrait de réduire l’endettement. Ce faisant, nous avons négligé la question démographique, la désindustrialisation de l’Europe en général et de la France en particulier. Nous avons sous-estimé les conséquences d’une fiscalité et d’une réglementation excessives qui ont détruit notre compétitivité en laissant le champ libre aux géants que sont la Chine et les États-Unis. La France est divisée comme jamais elle ne l’a été dans son histoire récente, ses institutions sont affaiblies et son crédit en Europe et dans le monde dévisse.
Emmanuel Macron a-t-il une responsabilité particulière ?
Oui, car, en 2017, il a fait campagne contre les solutions nécessaires que je proposais pour rétablir les comptes publics : la suppression de 500 000 emplois publics compensés par l’augmentation du temps de travail, le report à 65 ans de l’âge de la retraite, la réduction des flux migratoires, la concentration de la Sécurité sociale sur les besoins essentiels des Français en matière de santé, la hausse de deux points de TVA et la baisse de la fiscalité sur la production. Ces propositions n’étaient pas trop dures et elles auraient permis à la France de redresser sa situation et d’affronter l’avenir avec confiance.
Au lieu de cela, les dépenses publiques ont dérapé et le déficit nous place désormais dans les derniers rangs européens. Les responsables politiques, par manque de courage, caricaturent les débats en brandissant la menace de la fin du modèle social français. C’est une imposture. Les Allemands, les Danois ou les Suédois ne sont pas moins bien soignés, moins bien logés que nous. Leur système de retraite n’est pas en péril. Seulement, ils gèrent mieux leurs finances publiques que nous. L’euro nous a protégés jusqu’à maintenant de la crise financière. Jusqu’à quand ?
L’Assemblée a adopté le budget de la Sécurité sociale. Est-ce un texte de « compromis », comme le décrit Sébastien Lecornu, ou l’un des « pires budgets de la Sécurité sociale », comme le pense Bruno Retailleau ?
La suspension de la réforme des retraites est une faute grave, du même ordre que la retraite à 60 ans en 1981 ou les 35 heures qui ont ruiné notre compétitivité. Tous les pays européens ont reculé l’âge de la retraite en moyenne à 65 ans. Le « compromis » que Sébastien Lecornu a négocié avec les socialistes est contraire aux intérêts de la France et n’a d’autre motivation que le maintien au pouvoir d’un bloc central malgré ses défaites électorales. La mission du premier ministre est impossible. Seul le retour devant le peuple peut nous sortir de cette impasse.
"Je suis atterré ! Une partie de la droite donne le sentiment de vouloir chercher un compromis à tout prix pour survivre au sein d’un bloc central que les Français rejettent."
François Fillon, ex-premier ministre et ancien candidat à l’élection présidentielle
Emmanuel Macron doit-il démissionner ?
Je ne réclame rien et suis respectueux des institutions. Emmanuel Macron a été élu président de la République, ce choix lui appartient donc. Mais s’il veut une clarification, il n’y a que deux solutions : soit il choisit de dissoudre, soit il remet son mandat en jeu. À la place d’Emmanuel Macron, je tirerais les conséquences de l’état du pays et donnerais ma démission pour ne pas faire perdre dix-huit mois au pays. S’il décide d’aller au bout de son mandat, alors il devrait dissoudre l’Assemblée nationale et rendre la parole aux Français.
Comment analysez-vous le vote du groupe LR à l’Assemblée, présidé par Laurent Wauquiez, dont une partie des députés ont soutenu le texte ?
Je suis atterré ! Une partie de la droite donne le sentiment de vouloir chercher un compromis à tout prix pour survivre au sein d’un bloc central que les Français rejettent. Plus cette situation durera, plus les Français se tourneront vers la seule alternative qu’il leur reste : celles des extrêmes. Il est urgent que la droite présente un projet de sursaut national pour rétablir l’autorité de l’État, protéger l’identité française et libérer l’économie. Bruno Retailleau ou David Lisnard sont bien seuls à tenir cette position.
De nombreuses projections placent le RN en tête. Croyez-vous en la persistance d’un « front républicain » ou pensez-vous, comme Nicolas Sarkozy, que ce temps est révolu ?
Tous les partis qui respectent la Constitution font partie de l’arc républicain. C’est clairement le cas du Rassemblement national. C’est moins clair pour La France insoumise, dont nombre de ses membres poursuivent un projet révolutionnaire assumé. Appeler au « front républicain » serait un déni de démocratie qui ne pourrait engendrer que la violence.
"La France n’a pas besoin de compromis mais d’une politique de redressement puissante qu’un candidat issu d’une primaire allant du centre gauche jusqu’à la droite souverainiste ne pourrait incarner."
François Fillon, ex-premier ministre et ancien candidat à l’élection présidentielle
Redoutez-vous un second tour opposant le RN à LFI en 2027 ? Dans ce cas, appelleriez-vous à voter pour le parti lepéniste ?
Jamais je ne voterai pour LFI. Ce scénario, je le redoute. Il serait par ailleurs le signe que la droite n’a pas réussi à porter un projet alors qu’une large majorité de Français appellent à une politique d’autorité à tous les niveaux.
Bruno Retailleau a été élu président de votre famille politique. Cela en fait-il le « candidat naturel » de la droite en 2027 ?
J’ai beaucoup de respect pour Bruno Retailleau, qui a toujours fait preuve d’une grande droiture intellectuelle, qualité tellement rare aujourd’hui. Si j’ai compris les raisons de sa participation au gouvernement au lendemain de la dissolution pour éviter un gouvernement de gauche, je lui conseillais depuis longtemps déjà d’en sortir. Il a été clairement trompé par le président de la République et le premier ministre. Cette rupture de confiance ne lui permettait pas de rester. Je préfère son courage à la faiblesse de ceux qui y sont restés. Aujourd’hui, Bruno Retailleau est président des Républicains. Il a les moyens de proposer aux Français un programme de sursaut national.
Laurent Wauquiez, David Lisnard, Xavier Bertrand… Les candidatures pourraient se multiplier chez LR. Une primaire est-elle inévitable ?
Difficile pour moi de l’écarter alors que je suis passé par ce système de départage en 2016. Cela étant, la question aujourd’hui est celle d’une primaire du bloc central et non de la droite. Pourquoi ? Parce que tout le monde cherche un subterfuge qui aboutisse à un candidat en mesure d’éviter le RN au pouvoir. Un tel profil serait le fruit d’un compromis qui conduirait inévitablement à la poursuite de la politique actuelle. La France n’a pas besoin de compromis mais d’une politique de redressement puissante qu’un candidat issu d’une primaire allant du centre gauche jusqu’à la droite souverainiste ne pourrait incarner.
"L’empêchement de Marine Le Pen serait un déni de justice et le signe d’un dysfonctionnement démocratique."
François Fillon, ex-premier ministre et ancien candidat à la présidentielle.
Que dites-vous à votre famille politique ?
De se mettre au travail pour porter un projet de redressement national à la hauteur des menaces qui pèsent sur notre cohésion nationale, sur notre identité et sur notre prospérité. C’est le seul espoir de sortir de l’impasse dans laquelle la politique du « en même temps » d’Emmanuel Macron nous a placés. En détruisant la droite et la gauche, le président a rendu l’alternance improbable. Or, l’alternance, c’est la principale différence entre les démocraties et les régimes autoritaires. Sans le « front républicain » en 2024, il est probable que le RN aurait été en situation de participer au gouvernement. Les Français auraient alors pu juger de l’inconséquence de leur programme économique.
Quel regard portez-vous sur Jordan Bardella, en qui Nicolas Sarkozy perçoit un Chirac dans sa jeunesse ?
Bien que je ne le connaisse pas personnellement, il me semble qu’un peu d’expérience ne nuit pas. Surtout pour conduire une politique de sursaut national. L’élection d’Emmanuel Macron montre que l’expérience en politique est loin d’être une question secondaire…
Le procès en appel de Marine Le Pen débute dans moins d’un mois. Que diriez-vous si une peine d’inéligibilité devait l’empêcher de se présenter en 2027 ?
L’exécution provisoire de l’inéligibilité pour Marine Le Pen, l’exécution provisoire de la peine de prison de Nicolas Sarkozy ou ma propre mise en examen dans un délai jamais vu dans l’histoire de la justice française sont des actes politiques. L’empêchement de Marine Le Pen serait un déni de justice et le signe d’un dysfonctionnement démocratique. En 2017, la justice a interféré dans un processus démocratique dans des conditions inédites. En 2022, le « front républicain » et la guerre en Ukraine ont faussé le débat démocratique. Résultat : le président de la République n’a pas été élu sur un projet mais sur un rejet. C’est une des raisons du blocage politique dans lequel le pays est plongé.
Après plusieurs procès, vous avez choisi d’aller en cassation …
C’était un pourvoi lié à un recours devant la Cour européenne des droits de l’homme qui m’a débouté sans en attendre le jugement. Je l’ai donc retiré. C’est un point final à huit ans de procédure judiciaire.
"J’ai commis des erreurs. Elles ont entraîné l’élection d’un président qui a plongé la France dans une crise politique majeure"
François Fillon, ex-premier ministre et ancien candidat à la présidentielle.
Si vous n’aviez pas été condamné, auriez-vous souhaité vous présenter une nouvelle fois au suffrage des Français ?
Au lendemain de l’élection présidentielle, j’ai tiré un trait sur ma vie politique. Je suis allé au bout de ce que je pouvais apporter au pays. Il vient un temps où il faut céder la place.
Avez-vous trouvé une forme de consolation dans le fait que certains considèrent, encore aujourd’hui, que vous avez incarné en 2017 le dernier espoir de la droite d’accéder au pouvoir ?
Ce n’est pas une forme de consolation. C’est une blessure. J’ai commis des erreurs. Elles ont entraîné l’élection d’un président qui a plongé la France dans une crise politique majeure. Elles ont imposé à mon épouse une épreuve judiciaire qu’elle ne méritait en aucun cas.
Comment avez-vous vécu l’incarcération de Nicolas Sarkozy ?
Douloureusement. Je suis allé le voir juste avant son incarcération. Je voulais lui dire que j’avais l’estomac noué d’imaginer un ancien président de la République dormir à la Santé. Sa résistance m’a impressionné. Il m’a même remonté le moral ! Rien ne justifiait cette exécution provisoire qui n’avait d’autre but que de l’humilier.
Lorsque Bruno Retailleau était ministre de l’Intérieur, il plaidait en faveur d’un bras de fer diplomatique avec l’Algérie. Est-ce la bonne stratégie ?
Indéniablement. L’incarcération de Boualem Sansal, comme celle de Christophe Gleizes, encore emprisonné, est un scandale. L’Algérie, qui pratique l’ingérence dans nos affaires, qui refuse de reprendre ses ressortissants, qui met en accusation la France de façon permanente, est un pays dont le gouvernement est hostile. Il faut lui opposer une politique d’une très grande fermeté. Pour que l’Algérie le comprenne, il faut suspendre les accords de 1968, qui sont caducs.
"Au lieu de se lamenter, les Européens devraient en tirer les conséquences et se doter d’une défense autonome dans le cadre d’une alliance entre États avec une clause de solidarité commune."
François Fillon, ex-premier ministre et ancien candidat à la présidentielle.
Concernant le conflit russo-ukrainien , une paix est-elle possible, et, si oui, à quel prix pour l’Ukraine ?
Cette guerre aurait pu être évitée. Mitterrand, Chirac ou Helmut Kohl n’auraient jamais laissé la situation se dégrader comme elle s’est dégradée à partir de 2014. La question est maintenant celle de savoir comment sortir d’une confrontation qui peut mener à une guerre mondiale. La Russie est le plus vaste pays du monde, a des ressources considérables et une population profondément nationaliste quels que soient ses dirigeants. Ignorer ces réalités ne pouvait que nous conduire à l’impasse dans laquelle nous sommes. Les Européens sont désormais spectateurs d’une négociation conduite par les Américains, qui aboutira à un mauvais accord cependant préférable à la poursuite de la guerre.
Avec des abandons territoriaux ukrainiens ?
Ce n’est pas un choix mais seulement la constatation d’une réalité. La Russie a conquis une grande partie des territoires qu’elle revendiquait. Les sanctions, comme je l’ai toujours dit, n’ont eu aucun effet. Pire, cette guerre a coagulé plus de la moitié de la population mondiale autour de la Chine, de l’Inde, de la Russie ou de la Turquie dans une même détestation de l’Occident.
Un document de l’Administration Trump évoque le risque d’« effacement civilisationnel » de l’Europe . Partagez-vous ce constat ?
Les réactions européennes à ce document sont pathétiques. Le désengagement américain de l’Europe n’est pas récent, M. Trump n’a fait que le rendre plus brutal. Les Américains ont essuyé des échecs militaires, ce qui a provoqué dans l’opinion publique américaine un rejet des interventions extérieures. Ensuite, les Américains sont obsédés par la Chine, qui a réussi l’exploit de devenir la deuxième économie mondiale en une génération tout en se dotant d’une puissance militaire considérable. Enfin, les Américains sont fondés à s’interroger sur les revendications d’Européens qui travaillent moins qu’eux, qui bénéficient d’une meilleure protection sociale mais qui leur demandent d’assurer leur défense. Au lieu de se lamenter, les Européens devraient en tirer les conséquences et se doter d’une défense autonome dans le cadre d’une alliance entre États avec une clause de solidarité commune, conditionnée à l’obligation pour les pays membres de se fournir en armements produits en Europe.
Ce principe de solidarité européenne doit-il aller jusqu’à la dissuasion nucléaire ?
La dissuasion n’est crédible que pour protéger les intérêts vitaux de la France. Elle ne peut pas servir de parapluie à trente États européens.
Que doit-on comprendre quand Vladimir Poutine dit que « si l’Europe veut la guerre, la Russie est prête » ?
C’est une escalade dangereuse. Il est urgent de retrouver les voies d’un dialogue nécessaire, quels que soient les griefs que nous pouvons avoir à l’égard de la Russie.
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