
Tribune
Dès le mois de mars 2025, l’Ukraine a accepté le cessez-le-feu de trente jours proposé par le président Trump, afin de faciliter la reprise du dialogue entre les deux belligérants, russe et ukrainien.
Le Figaro - 3 juin 2025 - Par Renaud Girard
Mais, espérant sans doute de nouveaux gains territoriaux, Vladimir Poutine ne l’a pas accepté, au risque d’exaspérer la nouvelle administration Trump, pourtant très bien disposée à son égard. Après un long entretien téléphonique, le 19 mai 2025, avec son homologue américain, le président russe a toutefois a accepté que son pays rouvre, sans condition préalable, des négociations avec la partie ukrainienne. Celles-ci ont, dans un climat morose, repris le lundi 2 juin 2025 à Istanbul et duré moins d’une heure et demie. Elles ont permis aux délégations d’échanger leurs prétentions territoriales et politiques réciproques, mais ni l’une, ni l’autre n’a avancé dans la voie des compromis. L’Ukraine et la Russie se sont toutefois mises d’accord sur un nouvel échange de prisonniers, ce qui n’est pas rien, surtout si l’on songe aux familles concernées de part et d’autre. Contrairement à ce que semble penser Vladimir Poutine, l’Ukraine n’est pas en train de flancher militairement, même si l’armée russe continue à grignoter du terrain dans le Donbass et dans l’oblast de Soumy, au prix d’offensives très coûteuses en vies humaines. Dans la nuit du 31 mai au 1er juin 2025, l’Ukraine a réussi une très belle opération d’infiltration secrète du territoire russe et d’attaque par drones des bases stratégiques de l’armée de l’air russe. Plus d’une quinzaine de bombardiers lourds auraient été détruits, alors qu’ils étaient stationnés à des milliers de kilomètres du front. Dans le domaine naval, c’est l’Ukraine qui a pris l’ascendant en mer Noire sur la Russie, après avoir coulé plusieurs gros bâtiments arborant la croix de Saint-André, grâce à des attaques par drones navals. Les bâtiments russes ont du quitter le port de Sébastopol, au sud de la péninsule de la Crimée, pour aller se réfugier à Novorossisk, dans la partie orientale de la mer Noire. Les Ukrainiens utilisent à fond sa partie occidentale, pour exporter leurs céréales, à partir du grand port d’Odessa. C’est vrai que les soldats ukrainiens sont fatigués de la guerre, mais cela ne veut pas dire qu’ils soient prêts à livrer leur pays à la Russie et à perdre leur liberté. Par hubris – la démesure des Grecs anciens -, Vladimir Poutine veut-il continuer la guerre, quel qu’en soit le prix pour son peuple ? L’intérêt à long terme de la Russie serait d’accepter la proposition américaine de cessez-le-feu. Car Donald Trump a fait une offre en or au président russe, sans le juger sur ses actions passées : il lui a offert une normalisation complète des relations américano-russes et un partenariat économique inédit, notamment dans le secteur des hydrocarbures. L’abandon des sanctions par les Américains signifierait l’abandon des sanctions européennes, car l’UE exige l’unanimité de ses membres pour prolonger ces dernières tous les six mois. C’est une occasion inespérée pour Vladimir Poutine de se sortir la chemise sèche de son aventurisme militaire de 2022 et d’ouvrir une nouvelle page dans l’histoire de la Russie. Mais le maître du Kremlin traîne les pieds. Qu’espère-t-il à atermoyer ainsi ? Il ne gagnera rien de plus de l’Amérique à attendre. Au contraire, certains sénateurs républicains influents, comme Lindsay Graham, sont en train de réfléchir à de nouvelles sanctions drastiques visant la Russie. En attaquant la ville de Kiev en février 2022 et en ne parvenant pas à la prendre, Vladimir Poutine avait déjà commis une erreur stratégique au coût exorbitant : perte de toute influence en Ukraine pour cent ans ; arrêt d’un commerce avec l’Europe très profitable à la Russie ; transformation de la Baltique en lac otanien après le ralliement de la Suède et de la Finlande à l’Alliance atlantique ; départ pour l’étranger de dizaines de milliers de cerveaux russes ; abandon de tout projet majeur de mise en valeur de la Sibérie par réquisition de toutes les ressources pour l’effort de guerre. Aujourd’hui, en ne saisissant pas la main que lui tend Trump, Poutine commettrait une deuxième faute stratégique majeure. Certes, le leader russe a consolidé son alliance avec son grand voisin chinois. Mais comme ce n’est pas un partenariat entre égaux, il risque de se transformer à la longue en soumission de l’ours russe aux intérêts du dragon chinois. C’est quelque chose que les Russes, très éloignés culturellement des Chinois, finiraient par reprocher amèrement au pouvoir dictatorial du Kremlin. En Russie aujourd’hui, on interdit Memorial (l’ONG qui enquêtait sur les crimes des bolcheviks) et on réhabilite Staline. Comme Staline, Poutine pense les relations internationales en termes de zones d’influence et de glacis. C’est une géopolitique désuète. Aujourd’hui, ce sont l’Etat de droit, l’économie, le soft power, qui font la puissance et la pérennité des grandes nations. Or, en poursuivant sa guerre contre l’Ukraine, Poutine continuera à affaiblir à la fois l’Etat de droit, l’économie et le soft power de la Russie.
- 37 Lectures