Gabriel Attal, ministre délégué aux Comptes publics. (Jacques Witt/SIPA)

Économie

Le ministre délégué aux Comptes publics dévoile aux « Échos » les dépenses de l'État pour le budget 2024 avec le document budgétaire des « plafonds de dépenses » envoyé aux parlementaires. Pour la première fois depuis près d'une décennie, les dépenses de l'État vont baisser par rapport au budget de l'année précédente, insiste le ministre.

Les Échos - 17 juillet 2023 - Par Isabelle Ficek et Dominique Seux

Le gouvernement avait parlé pour ce budget 2024 de 15 milliards d'euros d'économie. La promesse est-elle tenue ?

Nous sommes à l'heure des choix. Le nôtre est clair : dépenser moins là où on peut le faire, pour investir plus là où on doit le faire. L'objectif de 15 milliards d'économies, évoqué par Bruno Le Maire, concerne la dépense publique dans son ensemble. Le niveau de dépenses de l'Etat pour 2024, que je présente aujourd'hui , y répond avec une ampleur sans précédent ces dernières années.

Pour la première fois depuis près d'une décennie, les dépenses baissent par rapport au budget de l'année précédente : 4,2 milliards d'euros de moins. En volume, c'est-à-dire en tenant compte de l'inflation, les dépenses baisseront de 3,5 %. C'est historique, d'autant qu'on investit massivement pour la transition écologique dans le même temps, avec les 7 milliards d'euros supplémentaires annoncés par la Première ministre.

Le budget 2024, c'est le budget du désendettement vert. On sort des dépenses exceptionnelles de crise et on fait des économies, pour financer la transition.

Quelle est la part de la baisse des boucliers tarifaires dans cet effort ?

La sortie du bouclier tarifaire sur les prix de l'énergie, c'est près de 14 milliards d'euros de dépenses en moins. Nous assumons aussi des économies importantes dans plusieurs secteurs : le logement avec la fin du Pinel et le recentrage du PTZ, soit 2,3 milliards d'économie à terme.

S'agissant du travail, le chômage baisse et la dépense peut donc baisser aussi. Grâce au travail remarquable d'Olivier Dussopt, des économies sont réalisées - sur les contrats aidés, la prise en charge des coûts des CFA dans l'apprentissage - en parallèle de la montée en charge de France travail. Au global, la dépense publique diminue.

A quelle hauteur les attendez-vous sur les contrats aidés ?

L'objectif est bien de revenir à terme au niveau de 2019 - avant la crise du Covid - à mesure que le chômage baisse, mais aussi de les supprimer complètement dans le secteur marchand.

Vous préparez aussi des efforts dans la Santé…

Préserver notre modèle social, c'est assurer sa soutenabilité. Si nous ne faisons rien, les dépenses liées aux arrêts maladie pourraient devenir hors de contrôle et nous coûter plus de 23 milliards d'euros en 2027. Notre objectif, c'est de responsabiliser les prescripteurs, les employeurs et les usagers. Nous étudions aussi des pistes relatives au coût des médicaments.

Tous les ministres ont-ils joué le jeu en proposant 5 % de baisse de leurs crédits ?

Tous ont répondu à la commande de la Première ministre, qui n'a jamais été de baisser les budgets de 5 % en 2024, mais d'identifier 5 % de marge de manoeuvre pour participer au désendettement et financer la transition écologique. Promesse tenue.

L'inflation et la revalorisation du point d'indice des fonctionnaires engendrent des surcoûts : ceux-ci seront assumés non pas par des crédits nouveaux, mais par les marges de manoeuvre identifiées dans chaque ministère. C'est bien ces efforts qui permettent aussi de financer l'investissement massif pour la transition écologique.

Les ministères régaliens, prioritaires, vont bénéficier de créations de postes. Que prévoit ce budget sur les effectifs de l'Etat ?

Le mandat qui m'a été donné, c'est une stabilité des effectifs sur le quinquennat. Nous créons des milliers de postes de policiers et de gendarmes sur le terrain ; même chose dans la justice. En face, nous allons continuer à réduire des postes administratifs, notamment à Bercy où nous renforcerons les postes de lutte contre la fraude.

En 2027, il y aura donc bien une stabilité des effectifs mais avec de profonds changements.

La France va tout de même rester le pays de la zone euro qui réduit le plus lentement ses déficits publics…

Nous ne partons pas du même point. Emmanuel Macron a hérité d'un pays à 10 % de chômage, avec un moteur économique au ralenti.

Le coeur de notre stratégie, c'est le travail. Grâce à nos réformes, nous avons un taux d'emploi historiquement haut, et donc des recettes supplémentaires. Nos réformes, comme celle de l'assurance-chômage , sont bien plus efficaces pour trouver des économies qu'une austérité.

D'autres pays vont plus vite que nous, mais notre croissance est supérieure à la leur. Nous avons été capables de réduire l'inflation sans récession. Nous ne dévierons pas de cette stratégie, qui nous amènera nettement en dessous des 3 % de déficit en 2027.

Le geste de 2 milliards de baisses d'impôts pour les classes moyennes sera-t-il tenu ?

D'abord, le budget 2024 sera bien un budget favorable aux classes moyennes car il poursuit le désendettement du pays. Si nous faisions l'inverse, ce sont elles qui paieraient la facture à terme avec des hausses d'impôts.

Je prends une nouvelle fois l'engagement qu'en 2027, les classes moyennes payeront moins d'impôts qu'en 2022

Nos investissements sont aussi pour elles : mieux rémunérer les enseignants pour garantir des remplacements systématiques en cas d'absence, des policiers en plus grand nombre pour assurer leur sécurité. S'agissant de la nouvelle baisse d'impôts, son calendrier dépendra de nos marges de manoeuvre. Je prends une nouvelle fois l'engagement qu'en 2027, les classes moyennes payeront moins d'impôts qu'en 2022, et ce, alors même que nous les avons déjà massivement baissés ces cinq dernières années conformément aux engagements du président.

Allez-vous reporter la seconde étape de la baisse des impôts de production des entreprises (CVAE) au-delà de 2024, comme le craignent les entreprises ?

La situation économique et les prévisions de croissance des prochains mois détermineront nos marges de manoeuvre. Une chose est sûre, notre ambition de diminuer la fiscalité des entreprises ne s'arrêtera pas : comme dans le précédent quinquennat, elles paieront moins d'impôts à la fin qu'au début.

Les allégements de cotisations sociales payées par les entreprises seront-ils revus pour les salaires compris entre 2,5 et 3,5 SMIC ?

Depuis 2017, nous avons créé 1,7 million d'emplois. Le coût du travail a moins augmenté en France que chez nos voisins : +14 % en Allemagne contre 9 % seulement en France. Dans l'industrie, nous sommes désormais en dessous d'eux : 40 euros de l'heure chez nous contre 42 euros.

Tout cela, on le doit à notre politique économique et notamment aux allègements de cotisations. Cela n'empêche pas de tout regarder, notamment d'éventuels effets d'aubaine. Compte tenu de l'évolution du SMIC, les salaires font l'objet d'allègements jusqu'à 6.100 euros, contre 5.500 auparavant. Un rapport d'évaluation nous sera remis en septembre sur le sujet.

Confirmez-vous votre intention de revoir des dispositifs fiscaux que vous considérez comme défavorables au climat ? On parle du relèvement à 20 % de la TVA sur l'installation des chaudières à gaz…

Le recentrage du PTZ sur la rénovation et les zones tendues va dans le sens d'une dépense fiscale plus favorable à l'environnement. Nous avons aussi annoncé vouloir faire évoluer progressivement la fiscalité applicable au gazole non routier, qui concerne l'agriculture et le BTP. Nous voulons construire la réforme avec les secteurs concernés.

Pour le reste, plusieurs pistes sont sur la table, par exemple sur les taux réduits applicables à des activités polluantes, mais il n'y a rien de tranché.

Le bonus automobile pour l'achat d'un véhicule électrique sera-t-il remonté au-delà des 5 à 7.000 euros actuels en fonction des revenus ?

L'investissement inédit annoncé par Elisabeth Borne en faveur de la transition écologique comprend 1,1 milliard pour les mobilités et la décarbonation des transports.

Agnès Pannier-Runacher précisera ce qui est prévu pour poursuivre le verdissement du parc automobile.

Le rapport de Jean Pisani-Ferry avait conclu à la nécessité d'un nouvel effort public de 30 milliards d'euros par an pour l'écologie, l'Etat va donc y consacrer 7 milliards d'euros, le reste ce sont les collectivités locales ?

Ce budget nous permet d'être en ligne avec le rapport Pisani-Ferry, et s'inscrit dans la trajectoire travaillée par Pascal Canfin, le président de la commission environnement au Parlement européen. Dans l'effort public, il y a aussi les collectivités locales, mais également les prêts et garanties de la Caisse des Dépôts et de la BPI, et d'autres mécanismes.

Le Conseil d'analyse économique (CAE) a proposé de supprimer le bouclier tarifaire sur l'électricité avant 2025 pour les 20 % des ménages les plus aisés. Une bonne idée ?

On sortira des boucliers progressivement au cours de l'année de 2024. Au-delà de la faisabilité technique, les propositions consistant à ce que l'Etat envoie des chèques à une partie des Français me laissent perplexe. Ma priorité est vraiment le soutien aux classes moyennes et dans ce genre de dispositif, les effets de seuil conduisent bien souvent à les pénaliser.

Comment va évoluer la charge de la dette l'an prochain ?

La dernière prévision anticipe une augmentation de 41 à 49 milliards entre 2023 et 2024. L'évolution des taux d'intérêt que nous observons est cohérente avec ce chiffre, qui sera actualisé dans le projet de loi de finances. Tout cela souligne l'urgence du désendettement, que nous entamons avec cette baisse des dépenses de l'Etat, inédite depuis une décennie.

Vous avez dû repousser d'un mois, à la fin juillet, la déclaration de ses biens immobiliers que chaque contribuable doit remplir en ligne parce que cela a troublé les Français, où en est-on ?

Nous tirerons toutes les conséquences du déroulement de cette campagne de déclaration, la première dématerialisée à 100 %. Il y a eu une nette progression ces dernières semaines. A la fin du mois, 85 % des déclarants devraient avoir répondu. Il ne semble pas nécessaire de modifier à nouveau le calendrier. Evidemment, mes services feront preuve de bienveillance.

Prenez-vous au sérieux la menace de censure de LR sur le budget ou est-ce du bluff ?

Comme l'an dernier, ma porte est ouverte et ma main est tendue. J'ai invité cette semaine tous les groupes parlementaires à travailler avec nous via les « dialogues de Bercy ». Tous sont venus. J'ai pu constater que les oppositions voient le recours à l'article 49.3 de la Constitution comme inéluctable. Mais j'ai aussi noté un esprit constructif.

S'agissant des LR, j'ai bien du mal à imaginer qu'ils pourraient sincèrement faire obstacle à un budget dédié au désendettement du pays, au soutien aux classes moyennes, et à la lutte contre les fraudes.

Isabelle Ficek et Dominique Seux