« Je suis sûr que les députés Républicains finiront par comprendre et ne resteront pas sur la même ligne d’opposition que le Rassemblement national », affirme le ministre de l’Intérieur, estimant qu’il faut « quitter les postures politiciennes » (Archive ©Héloïse Broseta/Actu Nice)

Entretien

Alors que le projet de loi Immigration doit être examiné à partir de lundi au Palais-Bourbon, le ministre de l’Intérieur se dit prêt à durcir son texte. Il propose notamment de rétablir le délit de séjour irrégulier.

Nice Matin - 8 décembre 2023 - Par Lionel Paoli

Gérald Darmanin est de retour ce vendredi dans les Alpes-Maritimes. "C’est l’un des départements où je me suis rendu le plus souvent", précise-t-il en souriant. Officiellement, le ministre de l’Intérieur vient "féliciter les forces de l’ordre qui font un travail exemplaire dans le quartier niçois des Moulins et à la frontière italienne."

Officieusement, ce déplacement en terre ciottiste est, à la fois, une main tendue au patron des LR… et une façon de le mettre sous pression. Le numéro trois du gouvernement espère trouver un accord sur le projet de loi Immigration, examiné à partir de lundi en séance publique au Palais-Bourbon.

À ce stade, les choses semblent plutôt mal engagées pour le locataire de Beauvau. Mais ce dernier affiche sa sérénité en jouant la proximité "gaulliste" avec les Républicains. Et en lâchant du lest.

Les Républicains ont annoncé qu'ils ne soutiendront pas votre projet de loi. Pensez-vous encore possible de trouver une majorité sur ce texte?

Les Républicains attendent la séance publique pour s’exprimer. Rien n’est joué. Je veux leur tendre la main. Ma présence, à Nice et à Menton, est une façon d’illustrer le débat par des exemples concrets. Le texte donnera aux forces de l’ordre des moyens supplémentaires très importants. Par exemple, un suspect ne pourra plus refuser la prise d’empreintes. Les passeurs risqueront 15 à 20 ans de prison. Je ne veux pas croire que les LR choisiront la politique du pire ou de l’irresponsabilité. Absolument personne ne le comprendrait!

Les Républicains accusent la majorité d’avoir "détricoté" le texte élaboré par le Sénat…

Ce n’est pas exact. Sur soixante articles proposés par les sénateurs, nous en avons retenu plus d’une trentaine: les restrictions au regroupement familial, la suppression de la gratuité des transports en commun pour les étrangers en situation irrégulière. Ceux qui menacent des élus perdront leur titre de séjour. Le contrôle des étudiants sera renforcé.

Oui, mais il y a aussi l’Aide médicale d’État (AME) que la commission des lois a rétablie, le délit de séjour irrégulier qui a été supprimé…

Pour l’AME, cela ne relève pas du Code des étrangers. Si on avait conservé cet article dans la loi, le Conseil constitutionnel l’aurait censurée. Mais ce point pourra revenir dans le débat à court terme: nous ne sommes pas fermés. Quant au délit de séjour irrégulier, réclamé par Les Républicains, je pense que leur demande mérite qu’on y prête attention. Je rappelle que c’est la gauche qui l’a supprimé en 2012. Moi, je suis ouvert à une discussion.

Ce qui bloque, c’est notamment cet article 4 bis réécrit en commission. Il permettrait aux travailleurs sans papiers de demander leur régularisation, en accordant un droit de veto au préfet. Jugez-vous que cet article est trop laxiste?

Non. Le 4 bis permettrait de régulariser 7.000 personnes par an, contre 30.000 actuellement. Ne soyons pas hypocrites: certains métiers ont besoin de ces travailleurs.

On veut des étrangers qui travaillent et qui respectent les règles de la République

Les critères de sélection sont-ils suffisants?

Les LR veulent exclure les étrangers qui ont un casier judiciaire; je suis d’accord avec cela! On veut des étrangers qui travaillent et qui respectent les règles de la République. On veut être méchant avec les méchants, gentil avec les gentils.

Selon Éric Ciotti, votre projet de loi est "un texte sans ambition, impuissant et qui ne changera rien." Il se trompe ou il fait de la politique?

Je souhaite qu’on quitte les postures politiciennes. Je suis gaulliste et j’appelle les gaullistes à voter pour défendre l’intérêt général. Est-ce que M. Ciotti est opposé à ce que l’on impose un examen de français à ceux qui sollicitent un titre de séjour? Je ne le pense pas. Cette mesure concernerait 400.000 personnes par an. Comment les Républicains pourraient-ils voter contre une mesure qui va permettre, enfin, d’expulser les délinquants étrangers? Quelle responsabilité énorme si l’un d’eux passait à l’acte demain...

Êtes-vous prêt à passer en force en utilisant l'article 49.3?

Je ne me place pas dans cette optique. Je remercie le président LR du Sénat, Gérard Larcher, qui a pris ses responsabilités. Je suis sûr que les députés Républicains finiront par comprendre et ne resteront pas sur la même ligne d’opposition que le RN. Il faut quitter les postures politiciennes.

Les Républicains ont profité de leur niche parlementaire pour présenter deux textes. Le premier est une proposition de loi constitutionnelle relative à la souveraineté de la France, à la nationalité et à l’immigration. C'est une mauvaise idée?

Ce n’est pas une mauvaise idée dans l’absolu: moi-même, je l’ai soutenue sous la présidence de Nicolas Sarkozy. Le président de la République est également d’accord pour en discuter – encore faut-il que M. Ciotti réponde à ses invitations! Si l’on souhaite fixer des quotas migratoires, c’est tout à fait possible. Mais on ne peut pas s’asseoir sur les engagements européens de la France. Sur ce point, on a une vraie différence.

Lorsque l’opposition de droite et d’extrême droite affirme que les lois européennes empêchent la France de maîtriser son immigration, c’est faux?

Oui. Il y a des choses à changer dans l’Europe, mais la sortie de l’Europe n’est pas la solution. Voyez la situation en Grande-Bretagne, où la poussée migratoire n’a jamais été aussi forte depuis le Brexit! L’Europe n’est pas le problème. Mais décider unilatéralement de ne pas appliquer les traités, c’est impossible. Même Giorgia Meloni ne le fait pas. Il faut changer les règles par la négociation, comme l’a fait le président Sarkozy. Encore une fois, je ne veux pas croire qu’Éric Ciotti se place sur la ligne du Rassemblement national.

Le second texte des LR, retoqué jeudi matin, appelait à dénoncer l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968 qui offre aux Algériens un statut spécifique en matière de circulation, de séjour et d’emploi en France. La renégociation annoncée par Élisabeth Borne est-elle suffisante?

Oui. Notre intérêt est de renégocier cet accord qui présente aussi des avantages pour la France. Pour venir chez nous, les Algériens doivent avoir un visa: ce n’est pas le cas des ressortissants de tous les pays du Maghreb.

Les députés Horizons ont voté la résolution LR. C'est une brèche dans la majorité présidentielle?

La majorité est plurielle. Chacun peut avoir des opinions différentes; le débat est ouvert.

Bruno Le Maire affirme que l’islam politique est "une plaie qui ronge le pays". Partagez-vous ce diagnostic?

Oui. Simplement, il ne faut pas confondre cet islamisme radical avec nos compatriotes musulmans. Ceux qui utilisent la religion à des fins politiques, on doit les traquer. Je n’ai jamais hésité à le faire!

Après l'attaque terroriste de Paris, vous avez dénoncé un "ratage psychiatrique". N’était-ce vraiment que cela?

Le premier responsable de cet attentat, c’est l’islam radical qui est aujourd’hui la menace la plus importante pour notre pays. Ceci posé, le terroriste a été vu quarante fois par un psychiatre. Il n’était plus suivi depuis neuf mois. On ne peut que constater qu’il y a eu un problème…

Marine Le Pen et Éric Ciotti préconisent un renforcement de la rétention de sécurité. Vous n'y êtes pas favorable?

Cela existe déjà pour les personnes qui ont été condamnées à plus de 15 ans de prison. Faut-il abaisser ce seuil? Il n’y a pas de tabous pour protéger les Français. Mais pour faire cela, en effet, il faudrait passer par une réforme constitutionnelle.

À sept mois des Jeux olympiques, les étrangers s'inquiètent. Pouvez-vous assurer que le pays sera sûr?

Nous sommes totalement mobilisés vers cet objectif. Nous avons accueilli le pape, le roi et la reine d’Angleterre, la coupe du monde de rugby, sans incident notable. Nous serons prêts.

À la frontière italienne, les effectifs ont été augmentés de 80%, ce qui a permis d’interpeller depuis le 1er janvier plus de 40.000 étrangers en situation irrégulière

Aux Moulins, à Nice, de nouveaux tirs ont été échangés mardi soir. Le quartier est en proie à de vives tensions depuis plusieurs mois. La CRS 8, puis la CRS 81 sont passées… et les violences continuent! Pour vous, c'est un échec?

Au contraire! On bat des records de saisie de drogue, les interpellations se multiplient. Il faut continuer dans cette voie. Je veux harceler ceux qui nous harcèlent pour que la peur change de camp. Je mettrai tous les moyens nécessaires pour lutter contre ces points de deal.

À Nice, les renforts de 40 policiers promis sont arrivés. À la frontière italienne, les effectifs ont été augmentés de 80%, ce qui a permis d’interpeller depuis le 1er janvier plus de 40.000 étrangers en situation irrégulière [+ 9,7% en un an, ndlr].

Christian Estrosi a annoncé, pour le premier trimestre 2024, le déploiement de dix-sept agents interbailleurs qui patrouilleront aux Moulins. La solution, c'est de déployer des vigiles privés?

Je suis très favorable à ce que tout le monde prenne sa part. Ces agents ne remplacent pas les policiers. Deux tiers des individus interpellés aux Moulins sont des étrangers. Avec la loi Immigration, 60% d’entre eux pourraient être expulsés.

Sur RTL, Gérard Larcher a réagi au message posté par Jean-Luc Mélenchon sur la journaliste Ruth Elkrief en lui disant: "Ferme ta gueule"! Il vous ôte les mots de la bouche?

J’ai beaucoup de respect pour le président du Sénat. Je pense qu’il a résumé ce que pense une grande partie des électeurs. M. Mélenchon était un pompier pyromane; maintenant, c’est un pyromane tout court. Ses propos, visant une journaliste qui a déjà été menacée, sont irresponsables.