Patrick Stefanini ©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT

Entretien

Pour l'ancien secrétaire général du ministère de l'Immigration la restriction du droit du sol à Mayotte voulu par le ministre de l'Intérieur est une proposition de bon sens. Selon lui, le gouvernement doit désormais durcir le droit à la nationalité française.

 FigaroVox - 31 août 2021 - Par Patrick Stefanini et Entretien Figarovox

LE FIGARO. - En déplacement à Mayotte, lundi, Gérald Darmanin a annoncé vouloir durcir le droit du sol sur l'île, afin de limiter notamment l'arrivée de femmes comoriennes enceintes dans ce département. Pour qu'un enfant obtienne la nationalité française, il faudra qu'au moins l'un de ses parents soit en situation régulière depuis un an contre trois mois auparavant. Quel regard portez-vous sur cette proposition ?

Patrick STEFANINI. - Cette proposition va dans la bonne direction car elle allonge l'exigence de la régularité du séjour d'un des deux parents. Elle fait suite à un amendement parlementaire proposé par un sénateur de LREM (NDLR, Thani Mohamed Soilihi) qui avait été approuvé en franchissant les fourches du Conseil constitutionnel, et amorçait l'évolution du droit du sol à Mayotte. Cependant, même si la volonté affiché par Gérald Darmanin va dans le bon sens, il faut faire attention aux conséquences que cela peut générer sur place, par exemple le trafic de déclarations de paternité. Le législateur devra être vigilant sur l'application du texte.

Quand les enfants nés en France de parents étrangers accèdent à la nationalité française à 13 ou 16 ans, pourquoi ne vérifie-t-on pas qu'ils remplissent les conditions d'assimilation ?

Patrick Stefanini

Cette annonce soulève trois questions : que faire pour lutter contre les fausses déclarations de paternité ? Pourquoi le gouvernement n'a pas également annoncé une restriction du droit du sol en Guyane, confrontée à un phénomène analogue avec notamment une immigration importante en provenance du Suriname ? Et, à partir du moment où on ouvre le débat sur le droit du sol, pourquoi, quand les enfants nés en France de parents étrangers accèdent à la nationalité française à 13 ou 16 ans, ne vérifie-t-on pas qu'ils remplissent les conditions d'assimilation ?

À l'heure actuelle, avec 30 naissances par jour, Mayotte est la première maternité de France et 48 % des habitants sont de nationalité étrangère. Cette proposition ne vient-elle pas trop tard ?

Mieux vaut tard que jamais. Pour limiter l'arrivée à Mayotte de migrants en provenance des Comores, il est urgent de poser un garrot en durcissant le droit du sol, comme François Baroin, alors ministre des outre-mer, l'avait déjà préconisé en 2008. Il n'est jamais trop tard pour bien faire.

Cette restriction du droit du sol peut-elle être une solution plus globale ? Peut-elle être étendue à l'échelle de la France ?

Si on ouvre le débat sur le droit du sol à Mayotte, pourquoi le cantonner à ce département ? Ces territoires sont les terrains d'arrivées massives de femmes comoriennes enceintes, qui obtiennent un titre de séjour puis deviennent françaises. Le gouvernement a pour l'instant réussi à profiter du caractère spécifique de ce qui se passe à Mayotte pour cantonner le débat à ce département.

Je pense que le droit français de la nationalité mériterait d'être revisité, notamment en généralisant la condition d'assimilation, comme je l'ai écrit dans mon livre. Aujourd'hui, seuls les étrangers qui deviennent Français par la procédure de naturalisation doivent remplir les conditions d'assimilation, et il serait judicieux de l'étendre aux mariages car, passé un certain délai, un étranger qui épouse un Français peut obtenir la nationalité grâce à une simple déclaration.

Le ministre de l'Intérieur se félicite de la baisse du nombre de naturalisations et il s'en attribue la paternité. La réalité est différente

Patrick Stefanini

Ces dernières années, on a assisté à la montée en puissance d'un phénomène inconnu dans les années 1970: des Français, majoritairement naturalisés, choisissent comme conjoint un étranger ou une étrangère résidant dans leur pays d'origine. Souvent, cette personne n'est absolument pas assimilée, elle n'a eu aucun contact avec la société française, et pour cette personne le mariage constitue l'occasion de venir en France Des ghettos communautaristes se sont ainsi constitués dans les banlieues des métropoles.

Le ministre de l'Intérieur affirme que l'État naturalise «nettement moins» qu'avant. Qu'en est-il concrètement ?

Le ministre de l'Intérieur se félicite de la baisse du nombre de naturalisations et il s'en attribue la paternité. La réalité est différente. La réforme consistant à confier au préfet la possibilité de s'opposer aux acquisitions de la nationalité française a été faite du temps de Brice Hortefeux, avec l'accord de Nicolas Sarkozy. Concrètement, les préfets ont un pouvoir de blocage des dossiers et le ministre chargé de l'immigration, lui, est resté compétent pour la signature des décrets de naturalisation. Dans les années qui ont suivi cette réforme, on a donc assisté à un début de baisse très significatif des naturalisations mais le gouvernement actuel n'en est pas à l'origine.

Outre la question de l'acquisition de la nationalité française, Mayotte doit aussi face à l'immigration clandestine. Les moyens mis en place pour protéger les côtes mahoraises sont-ils suffisants ?

Il est difficile de contrôler les accès à une île. En Italie, on voit souvent débarquer des migrants clandestins alors que des garde-côtes sont présents sur place. Régulièrement, des îles grecques sont aussi prises d'assaut par des clandestins, notamment pakistanais. À Mayotte, c'est autant moins facile, que cette île faisait encore partie des Comores avant le référendum d'autodétermination en 1975 et les relations entre Mayotte et les Comores sont étroites. Toutefois, je ne suis pas sûr qu'on utilise les technologies les plus modernes pour face à l'immigration clandestine. Le ministre de l'Intérieur pourrait mener une réflexion en ce sens.

La démographe Michèle Tribalat explique qu'avec une politique migratoire fondée sur des droits, l'État a construit lui-même son impotence . Partagez-vous ce constat ?

C'est un débat quasi philosophique. Je suis de ceux qui pensent que nous pourrions revisiter nos procédures d'acquisition de la nationalité française en généralisant la condition d'assimilation. La question de l'immigration et des droits est différente, beaucoup d'immigrés résident en France via un titre de séjour et ils ne demandent pas la nationalité.