En moins de deux ans, Sam Altman est devenu la coqueluche de la scène tech mondiale. (Alastair Grant/AP/SIPA)

Nouvelles technologies

Le patron d'OpenAI rêve d'une société de loisirs rétribuée par un revenu universel pendant que la superélite et les IA créeront la réelle valeur du monde. Un combo entre Marx et Darwin pas si neuf mais détonant.

Les Echos - 13 février 2024 - Par Asma Mhalla*

En moins de deux ans, Sam Altman est devenu la coqueluche de la scène tech mondiale. Pas un pli ne dépasse de sa stratégie de communication. Mais de quoi Altman est-il réellement le nom ? Pour comprendre ce qui se joue derrière ses discours lisses, il ne faut pas l'écouter, mais suivre ses investissements techno-industriels : une vision du futur technomaximaliste, privatisée, militariste, nervurée d'idéologies à la mode. Altman gère le futur comme un « setting » - un paramètre.

En janvier 2024, OpenAI supprimait de ses mentions légales l'interdiction des applications militaires de ses solutions. Devant le Congrès en mai 2023, la conception de l'IA selon Altman comme vecteur de réaffirmation des valeurs occidentales était déjà assumée. Du soft au hard power, il n'y a qu'un pas. L'immixtion régalienne devient problématique quand on l'accole à sa vision du futur. Open AI oeuvre au développement des superintelligences dotées de conscience pour le moment fantasmatiques.

Marx et Darwin

Accélérationniste, Altman rêve de faire émerger une IA générale qui « coévoluerait » avec l'homme dans un système « postcapitaliste », une société de loisirs rétribuée par un revenu universel pendant que la superélite et les IA créeront la réelle valeur du monde. Un combo entre Marx et Darwin pas si neuf mais détonant !

Logiquement, Altman est aussi transhumaniste . En 2022, il investit dans Retro Biosciences qui combat la mort par des techniques expérimentales (injection de sang « jeune », reprogrammation cellulaire partielle…). En parallèle, se structure WorldCoin, start-up en cryptomonnaies fondée sur une authentification biométrique baptisée WorldID. La promesse est simple : distinguer l'agent humain du bot en collectant nos iris. Les expérimentations ont commencé en Indonésie ou au Soudan dans des conditions déplorables.

Altman paraît aussi préoccupé par le climat, ou plutôt son ROI (rendement). A Davos, il déclare que « nous avons besoin de fusion ». Nucléaire. Au-delà du seul défi scientifique, il est l'un des actionnaires de Helion Energy, start-up spécialisée dans la fusion nucléaire avec laquelle Microsoft a signé un contrat d'achat d'électricité pour 2028. Il crée les conditions d'une intégration verticale avec OpenAI dont la chaîne de valeur en IA est trop énergivore, au point de remettre en cause la durabilité du modèle.

Patchwork d'idéologies

Enfin, le développement en propre de microprocesseurs est son ultime axe d'investissement. Inquiet de sa dépendance vis-à-vis de Nvidia sur un marché géostratégique vulnérable, il a investi dans Rain.ai - start-up qui développe des NPU (processeurs neuromorphiques) censés imiter le cerveau humain et sa faible consommation d'énergie. Il fera signer un accord entre Rain et OpenAI en 2019, l'exposant à un possible conflit d'intérêts.

Comme Musk, Altman entremêle idéologie en patchwork, prises de participation multiples aux conflits d'intérêts divers, leadership à marche forcée et nous indique un avenir possible. Au fond, il est un antihumaniste, c'est-à-dire un réaliste. Là où se loge son réalisme, résident nos plus vibrantes naïvetés. Quand le technologue montre le futur, l'idiot regarde le doigt.

*Asma Mhalla est Spécialiste des enjeux politiques et géopolitiques de la Tech, enseignante à Sciences Po et Columbia Global Centers.